Direction Lubumbashi, ville de la République Démocratique du Congo où Baloji vit le jour il y a près de 40 ans. 78 minutes d’un voyage musical qui ne laisse pas indifférent….
Dans ce 4ème opus le rappeur belge, « congolais d’outre atlantique » comme il aime à se décrire, nous invite à caresser les contours onduleux de son identité, multiple, à l’image d’un corps que l’on découvre.
137 Avenue Kaniama, est selon ses propres mots, P-E-R-C-U-S-S-I-F ! Les influences qu’on connaît à Baloji sont là, hip-hop, jazz et électro. Toutefois son lien avec l’Afrique lui permet d’emprunter tout autant à l’afrotrap, l’afrobeat, la rumba congolaise, au bikutsi du Cameroun, mais aussi aux rythmes lointains et peu connus du Zimbabwe. Un trait d’union entre les cultures, à son image !
Structuré à la manière d’un livre, 137 Avenue Kaniama est un disque à plusieurs chapitres:
- Le rapport au corps
- Le rapport à l’autre, les relations amoureuses (pièce centrale du disque)
- Le rapport aux identités, à ses propres identités
Développé en 14 titres et en mis en place dans une entité cohérente, on y retrouve bien évidemment le flow unique de Baloji, mais avant tout sa plume affutée ! Un haut niveau d’écriture, un travail sur la langue, des références à des auteurs afro: dont l’écrivain haïtien Danny Laferrière avec son œuvre «Comment faire l’amour à un noir sans se fatiguer ». Baloji ne prend pas de raccourcis, tranche dans le vif, avec une élégance peu comparable. Vincent Bolloré et les majors en prennent pour leur grade :
« Pour Papa Bolloré / Je suis un ex-énamouré / Qui suit tes conseils d’illuminé / Tes avis mal éclairés / T’es un alter-nombriliste / Qui traine son vague à l’âme d’artiste / Il y a dix ans c’était les Cubains / Maintenant tu fais dans l’ivoirien / Parce que moi je suis pas un nouveau Douk Saga / Je suis pas le clown chocolat / Je fais pas de « oui-oui Bwana » / Avec un grand sourire Banania / Toi t’es comme une volontaire chez mère Theresa / T’aimes visiter les pauvres loin de chez toi / Avec ton altruisme intéressé / Rapport de force inversé / Comment faire l’amour à un noir sans se fatiguer / Il faut le surmonter, il faut l’immobiliser » – Bipolaire – Les Noirs
Baloji est avant tout un poète, un storyteller aficionado de sample. Pour appuyer ses propos il invite l’auteur congolais Jean Bofane à rythmer ses titres tel un narrateur. Dans cet album l’artiste se révèle, le masque tombe. Parfois sensible, Baloji confie son lien avec sa mère qu’il retrouve après 9125 jours d’absence…
« C’est le charme trouble du déjà vu / Une scène cent fois vécue, cent fois attendue / Parce que dans l’attente on se projette et quand arrive le moment on est trahit par ses propres gestes / Est-ce que l’on le redoute le choc ou de vivre avec l’onde ? / Maman n’est pas aussi belle que dans mes songes / Elle a des cernes noires causées par les larmes…» – La dernière pluie – Inconnu à cette adresse
Parfois enragé, il dénonce les situations de violences dans l’est de son pays natal, en témoigne son titre Tanganyika.
« (…) Mine à ciel ouvert depuis l’entre deux guerre. Entre deux feux on passe à l’âge de pierre»
137 Avenue Kaniama est le fruit d’un travail colossal, probablement l’album le plus aboutit de l’artiste. Fan de cinéma (il fait référence à Gondry dans son titre L’art de la Fugue-Le vide), Baloji a pensé de manière cinématographique cet album, ses 14 morceaux sont mis en place comme un scénario. Car Baloji est aussi cinéaste et n’a pas peur des prises de risques ! Depuis 10 ans et la sortie de son premier album Hôtel Impala il réalise lui-même tous ses clips :
« plutôt par nécessité, au début, parce qu’il n’y a avait personne pour les faire, et puis je me suis pris au jeu. Pour moi, l’esthétique c’est une façon de rendre le propos plausible, crédible. L’image est au service de la chanson. ».
Le clip de Soleil de Volt est d’ailleurs un extrait de Kaniama Show son premier court métrage, qui accompagne la sortie de son album.
« C’est une satire de la propagande télévisuelle au Congo et plus largement du soft power. Car dans nos sociétés, on continue de penser que « si c’est dit à la télé, c’est vrai » (….) J’ai étudié pas mal d’émissions de télé et le plateau que j’ai créé pour le film mélange celui de Michel Drucker, de la Rai Uno du dimanche après-midi et de Soul Train».
Dans le rôle du présentateur Eriq Ebouaney (interprète du ‘Lumumba’ de Raoul Peck), la chorégraphie, elle, est dirigé par Serge Aimé Coulibaly. Baloji espère pouvoir, un jour, projeter son film au Congo.
Pour ses projets, il sait s’entourer des bonnes personnes, sur les collaborations musicales avec, par exemple, le violoniste James Underwood, le contre-ténor Serge Katudji, Didier Likeng chef de chœur et bassiste, le groupe afrobeat de brooklyn Antibalas, l’artiste belge Zeezafana. Ainsi que pour contributions plastiques avec une photographe percutante Kristin-Lee Moolman, une équipe de graphistes pointu Specht Studi, des styliste sans comparaison, masques : Magnhild Kennedy, costumes : Baloji, Virginie During, Brandon Wen, Elke Hoste. Perfectionniste et persévérant, il ne lâche rien ! Tout est sous contrôle, pour preuve sa vidéo de 9 min pour le titre Peau de chagrin-Bleu de nuit. Un clip à c-o-u-p-e-r le souffle, où l’esthétisme est poussé à l’extrême, aucun détail n’est laissé au hasard. Toutefois, parfois, le doute plane chez Baloji…
« J’ai réalisé, conceptualisé ce film, fait la déco, le stylisme, la direction artistique, bossé comme un dingue pour son financement exorbitant donc c’est vraiment une part de moi qui se perd dans les limbes du web. L’été dernier, je bossais avec un management qui me disait que j’aurais pu faire la même cover d’album au zoo d’Anvers au lieu de dépenser tant d’argent! Le manager suivant me disait aussi que bosser 4 mois sans une thune pour un film de 9 minutes sur une chanson qui n’est pas un single radio était suicidaire et que pour 30% du budget on pouvait le faire dans le jardin botanique de Lisbonne et franchement, je veux pas que l’histoire leur donne raison…. »
Auront-ils le dernier mot ? On ne le souhaite pas ! Longue vie à l’artiste Baloji !
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