Nas & DJ Premier – Light Years
Nas & DJ Premier : à des années-lumière des attentes simplistes
Certains albums sont attendus. D’autres deviennent des légendes avant même d’exister. Light-Years appartient clairement à la seconde catégorie. Annoncé pour la première fois au milieu des années 2000, repoussé, évoqué, fantasmé, presque enterré, le projet commun de Nas et DJ Premier aura traversé près de deux décennies d’histoire du hip-hop avant de voir enfin le jour. Autant dire que la sortie de l’album, ce 12 décembre 2025 chez Mass Appeal, relève moins de l’actualité musicale que de l’événement culturel.
Deux figures centrales du rap new-yorkais qui signent ici bien plus qu’une collaboration tardive. Light-Years est un disque de mise à distance. Distance parcourue, distance assumée, distance critique aussi. Nas et Premier ne cherchent pas à rejouer un âge d’or figé dans l’ambre. Ils constatent, observent, interrogent ce que le hip-hop est devenu et ce qu’il continue de transmettre, depuis leur position de témoins privilégiés.
L’album s’inscrit d’ailleurs dans un cadre précis. Il constitue l’ultime chapitre de la série Legend Has It…, ambitieuse initiative de Mass Appeal visant à remettre au centre des albums portés par des figures fondatrices. Après Slick Rick, Raekwon, Ghostface Killah, Mobb Deep, Big L et De La Soul, ce disque vient fermer la boucle. Logique presque mathématique. Nas est à la fois l’initiateur du label et l’un des derniers à conclure ce cycle, comme s’il fallait terminer l’histoire avec celui qui l’avait, en partie, écrite.
Sur le fond, Light-Years n’est ni un album nostalgique ni une tentative de revanche esthétique. C’est précisément ce qui le rend intéressant. Nas ne rappe pas pour prouver qu’il “peut encore”. DJ Premier ne produit pas pour rappeler qu’il est une légende vivante. Les deux savent très bien qui ils sont, et surtout où ils se situent. Le disque avance avec une sérénité rare, celle d’artistes qui n’ont plus besoin de convaincre, seulement de dire.
Les thèmes abordés traversent naturellement l’histoire du hip-hop, mais sans didactisme pesant. On y croise des figures pionnières, des références contemporaines, des noms cités avec respect, parfois étonnés d’être mentionnés par ceux qu’ils ont eux-mêmes étudiés. Nas adopte un regard panoramique, souvent introspectif, parfois mélancolique, jamais aigri. Il questionne la transmission, la mémoire, la responsabilité symbolique que confère un tel statut. Premier, de son côté, livre une production qui refuse le pastiche. Les choix de samples, les textures, les respirations rappellent son ADN sans jamais chercher à le figer.

Un détail n’en est pas un. L’album ne compte qu’un seul invité, AZ. Évidence presque trop parfaite pour être soulignée, tant le clin d’œil à Illmatic est assumé sans être appuyé. Là encore, pas de surenchère, pas de tracklist musée. Juste la présence d’un témoin cohérent, à la bonne place, au bon moment.
Il serait tentant de qualifier Light-Years d’album de la maturité. L’expression est souvent galvaudée, mais elle trouve ici un sens précis. Deux artistes quinquagénaires qui continuent à faire ce qu’ils aiment, depuis là où ils sont, sans chercher l’approbation de fans monomaniaques toujours en quête d’un hypothétique Illmatic 2 trente-deux ans plus tard. Ce disque ne corrige rien, ne réécrit rien. Il constate.

À ce titre, Light-Years ressemble à un jubilé, mais sans match de gala inutile. Une rétrospective vivante, connectée à son époque, qui prouve que la relation de Nas et DJ Premier avec le présent n’a jamais été rompue. Le hip-hop y est traité comme une culture vivante, pas comme une relique à sanctuariser.
Un album qui n’avait peut-être de sens qu’à sortir maintenant. Ni avant, ni après. À distance raisonnable de tout. À des années-lumière des attentes simplistes.


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